Un pavé de mémoire a été placé sur le perron du Lycée Émile Jacqmain le 14 octobre 2019, pour honorer la mémoire de Paule Mévisse, enseignante en langues germaniques et grande figure de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale.
C'est lors d'une cérémonie, poignante d'intensité et de simplicité, en présence de l'Échevine de l'Instruction publique et de la Ministre de l'Enseignement obligatoire, qu'un pavé de mémoire en hommage à Paule Mévisse a été scellé sur le perron du Lycée Émile Jacqmain.
Paule Mevisse est l'une des grandes figures de la Résistance en Belgique. Professeure de langues germaniques, elle considérait que son premier devoir était de défendre les droits des plus démunis. Il n'y avait pour elle aucune autre alternative que de prendre la défense de celles et de ceux qui étaient persécutés par les régimes autoritaires et liberticides. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s'engagea donc totalement dans les réseaux de la résistance, ce d'autant qu'elle connaissait parfaitement les langues, prenant des risques considérables pour sa personne et sa propre vie. Comme l'a rappelé Catherine Dombrecht, Présidente de la Post-Scolaire, "sous sa simplicité, sous sa discrétion, sous son apparente fragilité, Paule Mévisse cache une grande force intérieure : une profonde humanité que l’occupation allemande et la discrimination vis-à-vis des Juifs vont transformer en indignation, en rage.
Ses engagements d’avant et pendant la guerre s’inscrivent dans cette conviction. Il lui paraît naturel de s’engager lors de la Guerre civile d’Espagne, d’entrer dans la Résistance aux côtés des Partisans sans en être membre, de cacher des enfants juifs, des communistes et des partisans armés. Il lui paraît normal de transporter des sommes d’argent, de faux timbres de rationnement à l’insu de tous, en continuant à enseigner...
Arrêtée par la Gestapo, emprisonnée et déportée en Silésie, elle s'évadera des camps, lors d'un bombardement allié en mars 1945. Plus tard, Paule Mévisse reprendra son enseignement au Lycée avec une énorme modestie et toujours la même passion : celle d'éduquer, de transmettre, d'éveiller les esprits à la critique, à la prise de recul, à se méfier de toute forme de populisme et d'embrigadement.
Les élèves de 5e secondaire, ont eu l'occasion de se pencher sur la vie et l'action de Paule Mévisse. Ils ont aussi visionné un extrait d'une interview qu'elle a donné dans les années 80 à la Fondation Auschwhitz.
Voici quelques extraits de la remarquable prise de parole de Lou, Alice, Margot et Vittorio (travail réalisé dans le cadre du cours de Philosophie et Citoyenneté sous la direction de Fabien Nobilio) :
Mme Mevisse avait-elle une famille ? Pour qui, pour quoi s’engage-t-on ?
Bien sûr, Mme Mevisse avait une famille : sa sœur et sa nièce sont parmi nous aujourd’hui, nous avons vu tout à l’heure une photo de ses retrouvailles avec son père en 1945, nous savons qu’elle n’avait pas pu échanger de nouvelles avec ses proches depuis son arrestation en 1943, conformément au fameux décret « Nuit et brouillard » de 1941. Derrière cette question sur la famille, il y a en fait une question sur l’engagement. Mme Mevisse savait les risques qu’elle prenait en rejoignant un groupe de partisans qui transportaient des messages et des fonds, distribuaient de faux timbres de ravitaillement, logeaient des Juifs. Sa famille et ses collègues, eux, n’étaient pas au courant de ces activités. De manière générale, quelles sont les motivations, quels sont les freins, pour prendre de tels risques ? Est-ce pour sa famille qu’on le fait ? Ou est-ce moins difficile si on n’a pas de famille, si on n’a pas de point d’attache, si on n’a rien à perdre ?
Mais est-ce qu’on n’a pas toujours quelque chose à perdre, envie de sauver sa peau, de survivre ? N’y a-t-il pas une tension entre « l’instinct de survie » et la volonté de s’engager ou d’aider les autres ? Si c’est le cas, ça n’a pas empêché Mme Mevisse d’aider une codétenue à s’évader avec elle en la faisant passer pour sa mère muette… On se sent souvent responsable vis-à- vis de sa famille, voire de ses amis. Mais on peut aussi se sentir responsable vis-à-vis de tous les autres. Si on s’engage, c’est peut-être surtout par volonté de changer les choses, de rendre le monde meilleur.
Pourquoi Mme Mevisse dit-elle ne pas être communiste alors qu’elle a soutenu ce parti ? Faut-il s’engager seul ou en groupe ?
À première vue, il y a un paradoxe. Dans l’interview, Mme Mevisse dit bien qu’elle a travaillé pour le parti, mais qu’elle n’en a jamais été membre. Peut-être était-elle prête à aider ses amis communistes parce qu’ils avaient un but commun : résister au nazisme. Sans le contexte historique de l’Occupation, elle ne l’aurait peut-être pas fait. Pourtant, elle associe le communisme au partage des richesses, elle défend cette idée du partage, elle se demande pourquoi une idée si évidente est si difficile à réaliser ! Le fait qu’elle n’adhère pas ou pas complètement au parti, viendrait alors de son refus de se soumettre, de sa volonté de garder son indépendance. En effet, elle dit plusieurs fois qu’il ne faut pas se laisser embrigader, qu’il faut se méfier des mouvements de foule, même si on s’y sent bien. A ces moments-là, est-ce qu’elle parle du nazisme ou du stalinisme ? Elle a vu la montée du nazisme pendant ses voyages en Allemagne dans les années 30, elle a été frappée par le racisme de cette époque, elle parle de « folie collective ». Elle insiste : il faut garder son esprit critique.
Mais qu’est-ce que l’esprit critique ?
Parfois on en parle trop, souvent on en parle mal : de manière trop théorique, trop floue. C’est que l’esprit critique est une chose complexe, un groupement de plusieurs démarches : la critique historique, la recherche d’objectivité, la remise en question… Aux yeux de beaucoup d’entre nous, c’est une évolution, un progrès qui remonte aux premières traces de rationalisme dans l’Antiquité et qui est devenu indispensable aujourd’hui à l’ère des réseaux sociaux. Aux yeux de certains d’entre nous, c’est malheureusement devenu un effet de mode : on doit dire qu’on a de l’esprit critique pour faire comme tout le monde, alors que, face aux fake news, il n’y a plus personne. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’on a parfois l’impression d’être critique, alors qu’on ne l’est pas forcément. Il faut donc examiner différentes sources, tenir compte d’autres opinions et se forger sa propre opinion, sans pour autant s’y enfermer. Car c’est surtout envers nos propres idées qu’il faut rester critiques. Si nous ne faisons que les renforcer, si nos amis les renforcent aussi, comment pourrons-nous les améliorer ?
Faut-il garder espoir en l’humanité ?
Dans l’interview, Mme Mevisse semble dire : oui, avec prudence. Au fond, est-ce qu’on a le choix ? Si on ne garde pas d’espoir, on peut laisser l’humanité courir à sa perte. Il ne faut pas se forcer, mais, si on n’y croit pas, qu’est-ce qu’on peut encore faire ? L’humanité, c’est les autres, mais c’est aussi nous. Nous qui sommes nés en 2002, 2003, nous n’avons jamais vécu de guerre ou d’autre moment qui nous ait fait perdre espoir, même si nous savons que le monde va mal, avec les attentats de 2015, les guerres en dehors de l’Europe, les migrants qui meurent en traversant la Méditerranée, le changement climatique qui menace la planète… Dans ce cadre, garder espoir, ce n’est pas croire qu’un jour l’humanité n’aura plus de problèmes, c’est croire en ce qui nous paraît important et tout mettre en œuvre pour nous en rapprocher. En ce sens, l’humanité, ce n’est pas un amas d’humains, c’est ce en quoi on croit, c’est l’idée qui nous pousse à agir. C’est sur cette idée d’humanité, remarquablement mise en œuvre par Mme Mevisse, que nous terminons.
Date début: 18/10/19