« Naî(ê)tre au monde à l’ère numérique : réinventer l’expérience » était le thème de la leçon inaugurale de la Haute École Francisco Ferrer pour cette année académique 2015-2016
Ce lundi 5 octobre, à 18h, la Haute École Francisco Ferrer se penchait sur une mutation anthropologique majeure lors de sa rentrée académique.
« Naî(ê)tre au monde à l’ère numérique : réinventer l’expérience » était le sujet abordé par Stéphane Vial, Docteur en Philosophie de l’Université Paris Descartes et maître de conférences en design et cultures numériques à l’Université de Nîmes.
Rédacteur en chef de la revue Sciences du Design, il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont notamment « L’être et l’écran : comment le numérique change la perception », paru aux Presses universitaires de France en 2013, et « Le design », nouveau volume de la collection « Que sais-je ? », publié cette année.
Discours d'introduction à la leçon inaugurale
En allusion à sa leçon inaugurale du 5 octobre 2015, un extrait du discours introductif :
« (...) Que nous vivions en osmose avec nos outils, le philosophe allemand Martin Heidegger l’avait souligné, non sans une pointe de technophobie qui ne l’empêcha pas de se compromettre avec un régime politique dont l’arsenal technologique était à proprement parler meurtrier. La question qu’il pose n’en reste pas moins pertinente : qu’apprenons-nous sur nous-mêmes quand nos outils ne répondent plus ?
Peut-être faut-il toutefois la reformuler, car… nos outils ne sont plus seulement des outils. A travers eux, nous vivons une expérience, ce qui explique qu’ils soient si vite désuets, remplacés par de nouveaux modèles qui ne sont
pas seulement plus performants, mais surtout garants d’expériences nouvelles. A en croire le philosophe français contemporain Yves Michaud, ce n’est pas là une simple mode publicitaire, c’est bien une tendance que l’on observe dans des domaines aussi divers que l’esthétique et le tourisme.
Les expériences proposées sont-elles plus variées, plus riches, ou au contraire plus similaires, plus pauvres ? Pour le dire avec Heidegger : notre humanité est-elle arraisonnée par les outils numériques ? « Arraisonnée » : interpelée, interceptée, confrontée à une argumentation, voire conformée à un type de raisonnement.
Afin d’inscrire cette réflexion dans un débat, je tiens à citer aussi une analyse plus positive de la « révolution numérique ». On la doit au philosophe et historien des sciences Michel Serres, on la trouve dans son déjà classique Petite Poucette. Petite Poucette, c’est la nouvelle génération, celle pour laquelle le féminisme est une évidence (même si elle n’a pas encore conquis l’égalité), celle qui avec le pouce peut taper un SMS à toute vitesse (sans pour autant perdre le fil d’une discussion plus traditionnelle), celle qui est née avec la « révolution numérique », celle de nos étudiants et de nos jeunes collègues, celle qui nous interpelle :
« Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami ». Avez-vous déjà réussi à rassembler des groupes si considérables que leur nombre approche celui des humains ? N'y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? Vous redoutez sans doute qu'à partir de ces tentatives apparaissent de nouvelles formes politiques qui balaient les précédentes, obsolètes. »
De l’arraisonnement de l’humanité selon Heidegger à la révolution numérique vue par Serres en passant par l’esthétique de l’expérience selon Michaud et la pensée Power Point de Frommer, la question numérique semble se poser en des termes tout à la fois techno-scientifiques, commerciaux, éthiques et politiques.
L’un des mieux placés pour formuler cette question et pour nous proposer des éléments de réponse est sans aucun doute notre invité de ce soir, Monsieur Stéphane Vial.
« Filière innovante que le design social,
qui évoque le design proprement dit,
la consultance, les nouvelles pratiques philosophiques. »
Docteur en Philosophie de l’Université Paris Descartes, il est Maître de conférences en design et cultures numériques à l’Université de Nîmes et chercheur à l’Institut ACTE (Arts – Créations – Théories – Esthétique), Unité Mixte de Recherche (UMR) associant le CNRS et l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Rédacteur en chef de la revue Sciences du Design, il est l’auteur de nombreux articles et de quatre livres, notamment L’être et l’écran : comment le numérique change la perception, paru aux Presses Universitaires de France en 2013 [1], et Le design, nouveau volume de la collection « Que sais-je ? » publié cette année.
Ses études et son parcours professionnel sont à l’image de ses sujets de recherche : interdisciplinaires dans le meilleur sens du terme. Philosophe mais aussi psychologue, il a été professeur de lycée, clinicien, web designer, entrepreneur…
En tant que chercheur, il s’intéresse au design bien sûr, mais aussi à l’informatique, à l’architecture, à l’écriture. Il est l’une des chevilles ouvrières du Master Design-Innovation-Société de l’Université de Nîmes. Filière innovante que le design social, qui évoque le design proprement dit, la consultance, les nouvelles pratiques philosophiques.
Aux yeux de Stéphane Vial, c’est le design lui-même qui est une sorte de discipline totale, au croisement de l’art, de la science, de la politique, de la philosophie, du marketing, du commerce. Quand je vous disais qu’il s’adresserait autant aux chacune des six Catégories qu’à l’ensemble de la Haute Ecole…
Là où il y a design, nous dit-il, l’utilisateur en ressent immédiatement l’effet, précisément parce que son expérience s’en trouve instantanément transformée, améliorée, augmentée.
Est-ce aussi le cas de la culture numérique, dont le mot d’ordre serait, d’après le sous-titre de sa conférence : Réinventer l’expérience ? »
[1] Nouvelle allusion de S. Vial à M Heidegger : L’être et l’écran / « l’être et l’étant ».