Au Centre Pédagogique de Vlaesendael, un projet d’éducation à la citoyenneté existe pour toute l'école depuis une dizaine d’années. Grâce à « l’École Citoyenne », les enfants construisent ensemble, avec l’équipe éducative qui les encadre, les lois et devoirs qui leur permettront d’évoluer, d’apprendre et de grandir dans un environnement respectueux et bienveillant.
L’École Citoyenne est à l’origine un projet destiné à faire de l’école un lieu où les élèves apprennent ce que sont les droits, les devoirs, la citoyenneté et la démocratie. Dans les Écoles citoyennes, les règles de vie sont directement construites avec les élèves afin qu’ils intègrent au mieux le sens de celles-ci. C’est un contrat social élaboré collectivement, avec un même modèle qui s’inscrit dans le projet : des lois élaborées par les élèves, un conseil de citoyenneté, des projets, et surtout plus de confiance, de parole et d’écoute.
L’origine du projet
«Au départ, explique l’institutrice Madame Abdoun, ce projet fonctionnait avec des adolescents. Nous l’avons donc adapté, afin qu’il puisse correspondre avec notre travail et les spécificités propres à l’enseignement spécialisé primaire.» Dans l’École Citoyenne telle qu’elle existe au Centre Pédagogique de Vlaesendael, les enfants réfléchissent et construisent en collaborant un système de droits et de devoirs qu’ils devront respecter. L’objectif ? Apprendre à vivre ensemble malgré les différences et les conflits, mais aussi désamorcer les tensions en offrant aux enfants un cadre où le dialogue citoyen et la confiance mutuelle sont encouragés.
Pour Madame Abdoun, tout a commencé par une remise en question et la recherche de solutions. «Le PMS fait un travail formidable. On avait une psychologue qui était là tous les jours et qui venait voir comment les choses se passaient. De fil en aiguille, elle nous a parlé d’une personne ressource, Jean-Luc Tilmant, et de son concept d’École Citoyenne. Quand j’ai vu ce qu’il mettait en place, j’ai tout de suite pensé que c’était ce qu’il nous fallait !»
Un système co-construit
Pour Madame Boka, coordinatrice du projet et kinésithérapeute, l’École Citoyenne a permis d’instaurer un véritable cadre d’éducation à la citoyenneté, grâce à des outils et des espaces d’apprentissages privilégiés.
«Si on impose des règles aux enfants sans qu’ils puissent les comprendre, ça n’a pas de sens. L’idée, c’est de construire ensemble. Pour y parvenir, chaque année démarre par une mise au vert . On sort, on fait des activités avec les enfants, on vit des expériences. On essaie de faire en sorte que ce soit festif, mais il peut bien sûr y avoir des couacs. La première étape, c’est donc la mise en place de « mini-forums » pour sonder le ressenti de tous les élèves, pour voir ce qu’ils ont trouvé compliqué ou agréable dans le fait de passer toute une journée ensemble.»
Dans ces mini-forums, chaque classe s’organise en un groupe de réflexion dans lequel ils examinent trois questions fondamentales : «comment vivre ensemble dans le respect ?», «qu’est-ce que je ne veux pas que l’on me fasse ?» et «qu’est-ce que je ne peux pas faire aux autres ?». Quand tout le monde a donné ses idées, une synthèse est effectuée et l’élaboration des lois peut commencer.
Trois sujets reviennent essentiellement : la violence (qu’elle soit physique ou verbale), la propreté et le respect de son environnement, et enfin le respect de la « bulle individuelle », c’est-à-dire la bonne distance physique qui permet à chaque élève de se sentir à l’aise dans son espace personnel, et donc dans ses relations sociales. En effet, même si la proximité spatiale diffère selon les cultures, l'anthropologue américain Edward T. Hall a montré qu’il y avait autour de nous une « bulle », un périmètre de « sécurité » propre à chacun. [1]
«Ce qui est fondamental dans ce système, précise la logopède Madame Van Gasse, c’est que la co-construction de ces lois et devoirs par les enfants leur permettent de véritablement les intégrer, les suivre, mais aussi de les faire respecter. Ce n’est pas quelque chose qui leur est imposé, ce sont leurs propres mots, leurs propres réflexions qu’ils mettent en application. De cette façon, ils développent leur autonomie et leur responsabilisation.»
Ensuite, comme dans tout système démocratique, une étape électorale permet de lancer un appel à candidats afin de constituer les futurs représentants d’un Conseil de Citoyenneté. Celui-ci sera composé de la direction, d’enseignants, d’élèves, d’un éducateur et d’un membre du personnel d’entretien.
Le rôle de ce Conseil sera d’accueillir les nouveaux élèves, de rappeler les lois, de réguler les conflits, mais aussi d’appliquer les punitions et les «réparations», grâce au renforcement positif instauré par une remise de ceintures (comme au Judo), qui témoigneront du niveau de citoyenneté de chacun.
Pour David Quittner, enseignant titulaire et Maître Spécial d'Enseignement Individualisé (MSEI), l'École Citoyenne a un véritable impact sur le comportement des enfants. «Je travaille au Centre Pédagogique de Vlaesendael depuis 20 ans. J’ai eu l’occasion d’animer des Conseils et de mettre en place des filtres, c’est-à-dire des entretiens avec les enfants dès qu’une situation problématique se présente. Depuis la mise en place de l’Ecole Citoyenne, j’ai constaté une véritable évolution chez les enfants. C’est un projet dans lequel je crois très fort.»
Une mission parfois délicate
Qui dit co-construction dit aussi confrontation d’idées et de points de vues, sur lesquels les enfants, mais aussi les adultes, doivent s’accorder. Pour illustrer cet exemple, Madame Abdoun évoque la création d’un lieu devenu indispensable au sein du Centre Pédagogique : le «coin calme».
«C’était au départ l’idée d’un enfant, qui suggérait qu’il fallait trouver un endroit pour les enfants qui ne veulent pas rester dans la cour. La cour de récré peut être un lieu de souffrance pour certains d’entre eux, parce qu’ils n’ont pas envie de jouer ou d’interagir avec les autres. Cet enfant nous a donc partagé son idée, en expliquant comment il l’imaginait, en citant même des camarades pour qui ce lieu serait utile… ça montre tout le cheminement réflexif de cet enfant et pourtant, quand on a proposé l’idée en réunion d’équipe, on a aussi eu des réactions réticentes, voire des levées de bouclier !»
L’apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté signifie aussi adhérer à un système qui peut être perçu comme contraignant ou injuste, et ce à n’importe quel âge. Pourtant, c’est là l’essence même du vivre-ensemble, celle qui vise à dialoguer, à comprendre sans juger et à penser autrement pour adapter son comportement. «Quand on secoue un système, il y a toujours en réaction un frein, une envie de ne pas bousculer ce qui est déjà mis en place… Certains ont même évoqué un sentiment d’injustice par rapport aux autres enfants».
Pourtant, l’objectif ne visait pas à établir une distinction entre les enfants qui seraient obligés d’être dans la cour de récré et ceux qui pourraient « y échapper » en s’isolant dans le coin calme, mais bien de prendre en compte les besoins et spécificités de chacun pour leur proposer des solutions adaptées.
«L’injustice, c’est précisément l’inverse, c’est imposer un système unique là où chaque élève est différent. C’est finalement cet aspect-là qui a été le plus difficile à gérer, parce que l’argument principal était que ce qui ne peut être proposé de la même façon à tout le monde finira forcément par être injuste. Il a donc fallu batailler, et faire un tout un travail de déconstruction sur ces notions de justice, d’égalité, d’équité...» complète Madame Boka.
Une école de la vie
L’école Citoyenne, c’est un ensemble d’outils et de cadres mis en parallèle qui donnent du sens. En mettant en place un système qui permette à l’enfant de se sentir respecté et écouté, celui-ci peut apprendre en toute confiance à s’exprimer librement, à partager ce qu’il ressent. De plus, ce cadre normé lui donne un aperçu concret de ce signifient les notions de démocratie et de vivre ensemble, indispensables dans nos sociétés modernes.
«Certains enfants ont une vie vraiment difficile… Mais grâce à ce système, on peut les raccrocher à des codes, des notions qu’ils comprennent, peu importe les barrières de langue ou de culture. Même si ce projet n’est pas une « solution magique, c’est en tous les cas un moyen pour eux de se construire et de se structurer dans un environnement où ils intègrent des valeurs d’équité, de respect, de compréhension mutuelle et de responsabilité» ajoute Madame Van Gasse.
Et cela se voit directement sur les enfants. Quand on leur demande ce qu’ils préfèrent dans l’École Citoyenne, plusieurs mains se lèvent. «Chaque année, on fait des fêtes citoyennes, pour fêter la mise en place des lois. On fait des biscuits, on a aussi fait des lâchers de ballons…Mais on a arrêté parce que ça pouvait poser des problèmes. À la place, cette année, on a peint des pierres pour les faire voyager. On a même une page Facebook.»
La coordinatrice demande ensuite à un élève ce que l’École Citoyenne lui a apporté. Timidement, mais avec détermination, il répond : «La première fois, quand je suis arrivé dans l’école, j’étais agressif, je me battais plein de fois. On m’a alors envoyé au Conseil Citoyen. Ils m’ont aidé, avec des mots… Avec le temps, j’ai appris, et je me suis calmé. Parfois, je me sens encore énervé et agressif, mais beaucoup moins.»
Madame Claudia, éducatrice arrivée il y a deux ans, confirme les bienfaits de ce projet : «Je vois l’évolution de ces petits qui ont grandi avec l’École Citoyenne. Ils sont amenés à réfléchir, à s’auto-gérer… Et du côté des plus grands, les bénéfices sont visibles aussi. Ils ont une sensibilité différente par rapport aux plus jeunes et parfois ce sont même eux qui désamorcent les conflits.»
Avant de les quitter, une dernière question leur est posée. «Qu’est-ce qui est vraiment important pour vous dans l’École Citoyenne ?»
«De se sentir bien.» répond un élève.
[1] Cette étude des distances sociales, la proxémie, permet de comprendre les enjeux qui régissent l’espace personnel, puisque la distance choisie «dépend des rapports individuels, des sentiments et des activités des individus concernés». Concrètement, notre façon d’occuper l’espace en présence d’autrui est un des marqueurs de l’identité et la «distance adéquate» peut favoriser la confiance en soi et l’épanouissement de manière générale.